Le poison de la remontée des taux : retour de l'effet domino ?
Monthly House View - Novembre 2022 - Télécharger ici
« Les hommes n’acceptent le changement que dans la nécessité et ils ne voient la nécessité que dans la crise »
Jean Monnet, Memoirs (1976).
Une crise économique peut cacher une crise financière. Alors que tous les yeux étaient rivés sur la trajectoire d’inflation et le risque de récession, la remontée des taux semble jouer le rôle d’un poison lent et silencieux qui continue de se diffuser dans le bilan des acteurs financiers. Jusqu’au jour où les craquements trop bruyants ramènent les banquiers centraux à leur rôle de réassureurs du système.
Les fonds de pension britanniques ont dû être soulagés en voyant le taux à 30 ans rebaisser après le changement de ministre des finances et l’abandon du projet fiscal non soutenable du gouvernement, mais il s’en est probablement fallu de peu pour qu’on vive un choc d’ampleur.
Ce scenario aurait pu en effet marquer le retour de l’effet domino : face à des appels de marge massifs continuant de creuser, les fonds de pensions se retrouvaient en situation d’illiquidité les conduisant à vendre en catastrophe une grande variété de titres - c’est en partie ce qui s’est produit, transformant un choc de taux en panique financière, et transmettant ce risque à leurs contreparties de marché. Ajoutons à cela la situation des fonds immobiliers anglais qui ne sont donc pas en capacité de faire face aux demandes de rachat, et suspendent leur cotation. Ceci constituait le cocktail d’une crise financière qui nous remet en mémoire la crise des fonds monétaires dynamiques de l’été 2007.
Que peut-on retirer de cette séquence récente en forme d’avertissement? D’abord le fait que chaque changement de régime révèle les faiblesses du régime précédent. Ce dernier était caractérisé par la recherche de rendement «quoi qu’il en coûte» et la difficulté à accepter un ajustement à la baisse des espérances de rendement, face aux taux bas et à l’inflation nulle. La remontée brutale des taux piège tous les acteurs ayant accumulé un levier important ou ayant renoncé à la liquidité de manière inconsidérée.
Ensuite que chaque régime de marché s’accompagne aussi d’un système de pensée et de croyance. Une des croyances ancrées dans le régime précédent était le soutien sans faille des banques centrales auprès des acteurs privés et gouvernementaux. Une autre de ces croyances résidait dans l’idée que les banques centrales rendaient les dettes soutenables, dettes dont les investisseurs institutionnels demeureraient des acteurs forcés. Or, les banquiers centraux demeurent focalisés sur la lutte contre l’inflation et leur crédibilité (et celle de la monnaie) implique de ne pas céder facilement face à des gouvernements tentés de manier le levier fiscal avec l’aide de la politique monétaire. Mais les risques macro-financiers peuvent vite remettre cela en cause et ramener les banques centrales dans leur rôle de pompier général.
Par conséquent, à chaque amorce de crise financière renait l’espoir que les autorités monétaires viendront payer l’addition et panser les plaies des acteurs blessés, et que les institutions internationales viendront au chevet des plus fragiles. C’est l’espoir caché du marché : que la crise devienne si grave qu’elle conduise la Réserve Fédérale (Fed) à pivoter. C’est faire peu de cas de la posture d’une banque centrale dont la crédibilité a été mise en jeu, et qui est d’autant plus résolue que le plein emploi et l’inflation ne faiblissent pas.
Chaque crise est en général une phase de capitulation offrant des opportunités d’investissement exceptionnelles, quand le pessimisme extrême conduit à des valorisations irrationnellement basses. Ce point n’est peut-être pas encore là mais probablement devant nous. Un enseignement des crises précédentes sur ce point ; elles ressemblent parfois à des chocs sismiques, avec des chocs répétés et secousses successives. 1992 avant 1993. Le Mexique avant l’Asie. Bear Stearns avant Lehman. Et les sorties de crise sans purge ou refonte du système sont parfois de courte durée.
Une manière de suggérer qu’il vaut peut-être mieux vendre le rebond du soulagement que de croire trop vite à un rebond de fin d’année qui n’est pas encore gagné, malgré des opportunités criantes. Il faut décidément faire preuve de beaucoup de résilience et de patience dans cette année si difficile, mais qui cèdera peut-être la place à une année très positive sur les actifs de rendement.
Monthly House View, paru le 24/10/2022 – Extrait de l'Editorial
28 octobre 2022