Que penser de la croissance des salaires aux États-Unis ?

13 décembre 2022

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Les données salariales américaines sont très hétérogènes, certains indicateurs pointant vers une modération et d'autres continuant à refléter la pression des pénuries de main-d'œuvre. Nous pensons que les tensions sur le marché du travail empêcheront les salaires de se modérer et qu'ils continueront à alimenter l'inflation sous-jacente à l'avenir.
 

Des doutes sur la modération des salaires aux Etats-Unis 

Les coûts salariaux unitaires des Américains dans le secteur privé ont augmenté de 2,4% au troisième trimestre 2022 (inférieur aux prévisions du marché de 3,1%), soutenant le rallye boursier début décembre. Néanmoins, la modération de la croissance des salaires intervient alors que le marché du travail reste tendu, ce qui nous amène à douter du changement de tendance significatif de la croissance des salaires. Les données sur les salaires horaires mensuels du rapport sur l'emploi sont reparties à la hausse en novembre (0,6% sur le mois, après 0,5% en octobre, soit le double du consensus de marché de 0,3%). Sur une base annuelle, les gains horaires sont en hausse de 5,1%. De plus, selon les données de la Fed d'Atlanta, les Américains qui changent d'emploi sont les principaux moteurs de la croissance des salaires nominaux (avec une croissance des salaires de 7,7% en glissement annuel contre 5,5% pour ceux qui se maintiennent dans leur emploi).

Les salaires seront soutenus par les tensions sur le marché du travail

La croissance des salaires, qui peut révéler une certaine inertie, dépend principalement :

  • des anticipations d'inflation à long terme (reflétant le comportement futur de fixation des salaires);
  • de l'inflation passée (qui tient compte d'une éventuelle rétro-indexation);
  • et des tensions entre l’offre et la demande d’emploi (la différence entre le taux de chômage actuel et le taux de chômage non cyclique ou naturel).

Ces déterminants de salaires liés à l'inflation commencent à s'atténuer, mais à partir de niveaux élevés (graphique 1).

Graphique 1 : inflation réalisée vs. anticipations des consommateurs (%, glissement annuel)

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En effet, le marché du travail reste tendu : le taux de chômage actuel se situait à 3,7% en novembre 2022, certes en hausse par rapport aux 3,5% de septembre, mais toujours bien en dessous du taux de chômage structurel d’équilibre (à 4,4% selon l'estimation du Congressional Budget Office), également connu sous le nom de NAIRU (Non Accelerating Inflation Rate Unit, ou taux de chômage n'engendrant pas d'inflation). La tendance des demandes initiales d'allocation de chômage est à la hausse, mais n’a pas explosé. En effet, mesurées par la moyenne mobile sur quatre semaines, les demandes d’allocation ont atteint leur plus haut niveau sur trois mois, à 230 000, après avoir atteint un plancher de 206 000 au début d'octobre. 

Le degré de tension sur le marché du travail peut également être mesuré par l'écart entre l'offre et la demande de travail. Le nombre de chômeurs a augmenté de 4% en novembre, tandis que le nombre d'offres d'emploi en octobre a diminué de 8%. Cela représente tout de même un ratio de 2,2 offres d'emploi pour 1 chômeur (graphique 2), contre 1,45 en moyenne en 2019.

La pénurie de main-d'œuvre (ou l'écart entre les offres d'emploi et les chômeurs disponibles) dans le secteur des services ne s'est pas améliorée, notamment dans les loisirs et l'hôtellerie, et a même augmenté dans les services d'éducation et de santé (pour atteindre un ratio de plus de 4 pour 1). Enfin, elle a sensiblement augmenté dans l'industrie manufacturière. 

Graphique 2 : offres d'emploi par nombre de chômeurs (ratio)

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Le degré de tension sur le marché du travail reste nettement plus élevé que ne le justifie la situation économique actuelle (graphique 3), en raison de l'impact de la pandémie sur certains secteurs, qui met du temps à se dissiper. De plus, la pandémie a accéléré l'impact déjà existant du départ à la retraite de la génération du baby-boom, ajoutant aux pénuries de main-d'œuvre. 

En conclusion : 

  • En raison de ces problèmes plus structurels, nous pensons que les salaires mettront du temps à s’ajuster au ralentissement de l'activité et du marché du travail. 
  • Les salaires réels (corrigés de l'inflation) pourraient même s'améliorer à mesure que l'inflation globale se dissipe au cours des prochains trimestres, ce qui constitue un élément de soutien pour la résistance des dépenses de consommation dans cet environnement difficile de taux d’intérêt plus élevés.
  • L'inertie de l'inflation cœur (hors prix des denrées alimentaires et de l'énergie) sera plus longue que prévu, ce qui entraînera probablement un regain de pression sur l'inflation au second semestre 2023.

Graphique 3 : ratio offres d'emploi/chômeurs en fonction du niveau d'activité des services (enquête ISM en points)

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Principaux points à retenir pour les investisseurs
 

  • Les marchés ont été soulagés par les coûts salariaux unitaires du mois de novembre, car ils ont renforcé leur "vœu pieux" que l'inflation se modère et que la Fed « pivote » rapidement vers une politique accommodante. Ce n'est pas notre lecture, car nous nous attendons à ce que l'inflation, et plus particulièrement l'inflation cœur, reste lente à s’ajuster à la baisse de l’activité, comme le prévoient les enquêtes auprès des consommateurs. La Fed ne devrait pas faire marche-arrière aussi rapidement que les marchés pourraient l'anticiper/espérer, avec un plateau de taux plus élevés pendant plus longtemps. 
  • La hausse de taux de 50 points de base de la Fed prévue ce 15 décembre devrait continuer à pousser les rendements obligataires à court terme à la hausse et pousser les taux d'intérêt à long terme à la baisse, mais dans une moindre mesure étant donné que le resserrement monétaire commence à décélérer. Au total, le contexte encore inflationniste reste favorable aux investissements obligataires début 2023 par rapport aux actions. 
     

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13 décembre 2022

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